L’enfer est pavé de bonnes intentions… Tout à notre mission de « bien éduquer » nos enfants, nous avons tendance à vouloir influencer leur comportement en pointant leurs erreurs et en prônant ce qu’il faudrait faire. Oui, car l’adulte -avec la meilleure intention du monde- investi de son savoir, de son expérience et de son devoir d’éducateur, se place d’emblée dans la posture du « sachant », induisant de fait un sentiment d’incompétence ou d’inadéquation chez le jeune. Ce qui a en général pour effet de provoquer de sa part agacement, rébellion ou résignation.
C’est oublier que nos jeunes, chacun à leur façon, détiennent des trésors de compétences qui ne demandent qu’à être mis en lumière et valorisés ! Et pour cela, nous parents, éducateurs, enseignants, avons notre rôle à jouer.
Dans son livre « Les mille et une compétences en chaque enfant » (ed. L’Harmattan), Marie-Nathalie Beaudoin, psychologue clinicienne et directrice du centre californien SKIPS (Skills for Kids, Parents & Schools), nous ouvre à une approche beaucoup plus constructive, rendant à notre rôle d’éducateur toute sa noblesse et sa raison d’être.
S’appuyant sur les avancées des neurosciences et sur les concepts issus de l’approche narrative, elle nous propose une manière radicalement différente de dialoguer avec nos jeunes en stimulant leurs compétences cognitives, émotionnelles et sociales. Utilisant l’art de la maïeutique, chère à Socrate, elle nous invite à faire découvrir à l’enfant tout ce qu’il sait déjà et a compris par lui-même, par le biais des Conversations Stimulant les Compétences (les CSC).
Les conversations Stimulant les compétences
Elles différent de nos façons habituelles « d’enseigner » à nos enfants en ce qu’elles incitent le jeune à prendre conscience de ses propres stratégies pour résoudre un problème, et à construire peu à peu la conscience de ses ressources personnelles. La relation adulte/jeune s’en trouve plus fluide, plus sereine. L’adulte n’est plus le « sachant », il devient le facilitateur. Au lieu de lui dire ce qu’il devrait faire, l’adulte aide le jeune à prendre conscience de ses pensées-souvent contradictoires- de ses émotions et des valeurs qui lui tiennent à cœur.
En élargissant son point de vue sur le contexte et les autres, le jeune acquiert progressivement des compétences relationnelles et sociales ainsi que la capacité à faire un choix dans sa réponse plutôt que de réagir viscéralement.
Comment ça se passe ?
Tout comme les adultes, les enfants construisent leurs croyances et filtrent la réalité au travers de leurs expériences, de ce qui est véhiculé, transmis par leur environnement et leur éducation. Ils s’en imprègnent au point que cela devient leur propre réalité.
Ajoutons que notre cerveau, assurant en priorité notre survie, est programmé pour retenir avant tout les échecs, les dangers, les ratages. Aussi, la plupart des réussites passent à la trappe de notre oubli. Nous n’avons pas l’habitude de remarquer une absence de problème lorsqu’on maîtrise une situation sans émotion inconfortable.
Autant dire alors que si nos compétences ne sont pas signalées par notre environnement, elles ont peu de chances d’être envisagées, voire de s’épanouir !
Souligner les réussites ?
Les CSC encouragent les jeunes à prendre en compte leurs réussites, même minimes. Le fait de mettre en exergue une stratégie de réussite, de l’interroger de la nommer permet au cerveau de la mettre au premier plan de la conscience et de l’ancrer. La pratique renouvelée a pour bénéfice de renforcer le réseau neuronal de cette compétence, lui permettant une mise à disposition rapide lors d’une situation ultérieure.
Un exemple de CSC tiré du livre de M-N.Beaudoin :
La CSC peut s’engager en demandant à Miguel comment il a pu renoncer à regarder le ballon et à partir en disant juste « C’est bon… »
* Pour ne pas allonger l’article, j’ai choisi un seul exemple de CSC avec un enfant de 9 ans. Les CSC se pratiquent sur les enfants à partir de 4 ans et avec bonheur sur les adolescents, sur les jeunes adultes, voire les adultes….
Se focaliser non pas sur le problème mais sur le COMMENT le problème a été résolu
A partir d’un résultat qu’on aurait pu trouver mitigé (Miguel n’arrache pas le ballon à sa sœur, mais il part plutôt mécontent) le focus se fait sur le COMMENT Miguel a réussi à ne pas arracher le ballon à sa petite sœur ou à la menacer de représailles.
Au cours de cette situation, on le voit, Miguel va vivre un certain nombre de pensées et d’émotions complexes qui se bousculent en même temps dans son être. La CSC se focalise sur l’effort pour contenir les actes ou idées nuisibles et sur les pensées utiles pour les éviter, tout en reconnaissant l’existence d’une tentation d’y céder.
Le point de vue est élargi sur le contexte de l’autre (les invisibles) qui permet de se décentrer de sa contrariété et d’éprouver une forme d’empathie.
Le fait de réfléchir aux conséquences positives permet de se réjouir, de se féliciter et d’ancrer son choix.
En bref, tout cela aurait pu passer inaperçu pour l’adulte et surtout pour Miguel lui-même !
Elargir son point de vue et détecter les invisibles
Une habitude aidante est d’inviter les jeunes à faire plusieurs hypothèses quant aux raisons des comportements d’autrui, d’envisager le contexte en se décentrant, ce qui induit une vision plus large et moins dramatisée de la situation. Cette attitude développe l’empathie et les compétences relationnelles. Naturellement, cela ne peut se faire que lorsque le jeune a suffisamment confiance en lui et en l’adulte et qu’il se sent avant tout reconnu et compris (sinon, cela pourrait ressembler à une leçon de morale et serait inefficace voire contre-productif)
Les « invisibles » de M-N Beaudoin représentent tout ce qui influe sur le contexte de l’autre et que l’on ignore soi-même (la faim, une mauvaise journée, une rupture, une maladie, des tracas, un contentieux entre des personnes …). « Les invisibles sont fondés sur la croyance qu’il y a toujours des raisons complexes sous-jacentes aux comportements. »
La meilleure illustration tient dans la sagesse de cet accord toltèque « N’en fais pas une affaire personnelle ».
Le processus des CSC
C'est le jeune qui sait, l'adulte est le facilitateur.
Pour résumer, les CSC suscitent les 3 conditions favorables à un contexte d’apprentissage :
1-Vivre une émotion positive.
2-Percevoir une information comme étant pertinente pour soi.
3-Eprouver de l’intérêt, de l’enthousiasme ou de la curiosité.
Tout cela permet d’ancrer chez l’enfant tout ce qu’il a appris sur lui-même, sur le contexte et les autres, le rendant attentif aux différentes interactions, et conscient de ses compétences.
Les bienfaits des CSC
Le sentiment de sa valeur
Au contraire des conversations traditionnellement « donneuses de leçons » qui obligent les jeunes à se pencher sur les plus mauvais côtés de leur comportement, les CSC leur donne le sentiment de leur valeur.
De plus, le fait qu’un adulte reconnaisse leur ‘façon d’être’ préférée (les valeurs auxquelles ils tiennent) et leurs efforts pour y parvenir a un impact profond sur leur estime de soi.
Une meilleure gestion du stress et la confiance en soi
Les jeunes apprennent à nommer les compétences spécifiques qu’ils mettent en œuvre pour réussir dans certaines situations et peuvent même expliquer comment ils les utilisent. La conscience de cette maîtrise leur permet de garder leur calme dans des situations de défis et d’agir avec confiance.
La réflexion sur soi
Les CSC invitent les jeunes à réfléchir sur eux-mêmes en notant le déroulement de leurs pensées lorsque l’action aboutit à un bon résultat. Le processus s’enracine alors dans les émotions positives qui les incitent à devenir autonomes dans leur réflexion sur eux-mêmes.
La capacité à prendre en compte les conséquences
En se concentrant sur les pensées qui aident ou les actes réussis, les CSC permettent de mettre en évidence les répercussions positives en chaîne, sur soi, les autres, sa réputation, la fin de la journée, l’amitié,… Ce qui les rend sensibles aux conséquences de leurs actes.
L'apprentissage de la responsabilité
Dans ce processus valorisant, les jeunes deviennent plus désireux de se comporter d’une façon appréciée par les autres. Ils deviennent par conséquent plus responsables, valorisés en cela par les adultes qui constatent leurs aptitudes et leur fiabilité.
Pratiquer les CSC
En conclusion, les CSC sont un outil précieux qui, pratiqué à bon escient nous offre la découverte d’une réflexion complexe et souvent ingénieuse de la part de nos enfants, réflexion qui aurait pu être occultée par nos débordements émotionnels ou nos leçons assénées !
Ce n’est pas une tâche aisée, cependant, il nous faut casser nos vieilles habitudes « magistrales », que nous soyons parents ou enseignants. Cette pratique requiert du doigté pour ne pas tomber dans les nombreux pièges que sont d’évaluer sans cesse chaque action, de le faire au « mauvais moment », d’utiliser contre lui ce que le jeune a dit de constructif, ou bien de rappeler ce qui a été dit dans l’intimité d’une CSC pour le rabaisser lors d’un conflit, etc… Cela exige beaucoup d’implication, de respect et de sincérité de la part de l’adulte.
Je ne saurais trop conseiller la lecture du livre de M-N Beaudoin très clair et enrichi de nombreux exemples.
Laissons donc nos réflexes de censeurs et approchons de nos jeunes avec curiosité et bienveillance pour faire avec eux des découvertes qui les aideront à se sentir assurés et à aborder la vie avec enthousiasme et sérénité.
Michèle Geoffroy